Philippe Gautier réalise des vidéoclips. Né dans le contexte de la variété, il a conservé cet attrait pour ce monde musical où il s'insère par l'image. Il n'emprunte pas seulement aux processus et aux langages créés historiquement dans le cinéma, la photographie, les arts plastiques, la musique et la danse, il commande aux artistes des oeuvres qui prennent place ensuite, dans ses décors. Il construit des clips dont l'image ne se livre pas entièrement au premier visionnage.C’est un réalisateur prolifique et éclectique. Il aime la musique, sans frontières pour les genres et les styles musicaux. Il aime entrer dans l’univers d’une chanson, d’un artiste et construire un univers poétique où le son et l’image sont intimement liés. "Faire des vidéos clips, c’est trouver une idée originale ou raconter une histoire, c’est aussi, en image, mettre en relief le son" .

J’avais le rêve qu’à chaque note de musique corresponde une couleur, un mouvement ou un rythme. Je voulais voir un flot ininterrompu de rythmes, de couleurs qui serait des matérialisations du son. Dans un de mes premiers synopsis qui s’appelait « l’Ombre des sons », j’avais le projet de trouver comment concrétiser les bruits, les sons, les odeurs, donner des formes concrètes, à ce qui par essence n’en avait pas. Ce n’est resté qu’un projet. Je cherchais une forme abstraite, un espace visuel qui soit le lieu de la convergence de la musique et de l’image, une sorte de tableau vivant, une œuvre en constante évolution, un monde avec sa rigueur, sa logique, sa vie propre. Tant qu’un film n’est pas fait, il n’est qu’un fantasme, une idée dont on tente de s’approcher au plus près. Quand on passe de l’écriture au tournage, c’est à ce moment-là que le film prend sa forme. Tout participe alors à cette construction, l’exiguïté d’un décor, la météo, l’humeur de l’équipe, le temps de tournage. Je deviens alors un récepteur d’énergies, un central de redistribution. Le film existe du résultat de ce processus et même si je tente de rester au plus près de mon rêve initial, il y a une transformation. Il devient autre chose, il se modifie, au gré de mon état de fatigue ou de force en comptant sur les personnalités de ceux qui sont devant la caméra. C’est cela que j’ai compris en travaillant, c’est qu’il fallait s’ajuster avec le « réel » et mes rêves de formes abstraites se sont modifiés avec les rencontres, les projets, la naissance d’un format, les exigences d’un système et d’une économie. J’ai dû me faire à cette idée qu’une forme rêvée n’est pas exactement celle qui va naître, mais ce rêve est le moteur nécessaire pour la faire exister. Je me souviens de ces rêves éveillés dans l’enfance au moment où je passais de l’éveil au sommeil et où je tentais de voir les images des rêves sur l’intérieur des paupières. J’aurais aimé percer le mystère de ces images, tenter de les saisir, mais avant de pouvoir le faire, des fourmillements, des lueurs, des éblouissements apparaissaient, comme si je voyais le fourmillement infini des électrons. Ces sensations s’apparentaient à un univers abstrait de couleur et de lumière. C’est les yeux fermés qu’apparaissaient les premières sensations d’images. Les images apparaissaient aussi au réveil, quand les yeux mi-clos, je découvrais sur les murs d’une vieille maison de campagne, les dessins de taches d’humidité sur un plafond et sur un mur. A l’intérieur de ces formes dessinées par l’eau, se détachait alors des abstractions, un monde, un personnage, une chimère, toute une histoire se mettait en place comme dans les tableaux d’Henri Michaux. Le personnage est là, dans le dessin créé par l’eau, c’est là, mais ne se donne pas d’emblée. Puis soudain, comme par un effet d’optique, une forme se détache et semble apparaître, comme un relief nouveau, on ne voit plus qu’elle ; elle apparaît et on ne comprend pas comment quelques minutes avant elle n’apparaissait pas. Peut-être même que chacun y verrait une chose différente. La tâche d’humidité sur le mur est la même, mais l’on choisit ce que l’on veut y voir, on lui donne un sens, on lui donne sa forme. Cela me semblait parfait cette liberté d’interprétation, ce bonheur d’imaginer, d’inventer et de trouver une histoire. C’est un de ces rêves que je poursuivais en faisant des clips, trouver la forme idéale qui laisse de l’espace à une chanson et au sentiment transporté par la mélodie et au sens des paroles.